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Portrait de leader

Le devoir de comprendre

Photo : Michel Caron

11 septembre 2008

Mathieu Courchesne

Sur le bureau de Sami Aoun se trouve un agenda bien rempli. Étudiants, médias, gouvernements, organisations diverses… ils sont nombreux à vouloir entendre les réflexions de ce professeur à l'École de politique appliquée. Et le principal intéressé refuse rarement une demande. Pour Sami Aoun, c'est un devoir de permettre aux citoyens de mieux comprendre la situation politique du Moyen-Orient en leur offrant des analyses claires et rigoureuses.

Sami Aoun est originaire du Liban. Là-bas, il a été témoin de la guerre que se livraient musulmans et chrétiens. «À un certain moment, j'ai senti que je ne pouvais plus sauver mon âme, explique-t-il. Tout ce que j'avais appris sur la liberté de conscience, sur la liberté de la pensée et sur la primauté du droit, je l'ai vu s'écrouler devant moi.» En 1989, il a décidé de partir : «Je sentais que ma famille pouvait être en danger, raconte-t-il. Je ne voyais plus la fin de cette guerre.»

Un Québécois à part entière

Sami Aoun a choisi le Québec comme terre d'accueil. «Avant mon arrivée, je ne connaissais pas tous les paramètres et les enjeux de la culture québécoise, affirme le politologue. J'ai cependant vite compris qu'on ne peut pas ne pas se questionner sur le statut du Québec dans le fédéralisme canadien et sur les gestes qui contribuent à l'épanouissement et au rayonnement du fait français en Amérique du Nord. Cette réflexion m'habite constamment.»

La question de l'immigration au Québec est importante aux yeux de Sami Aoun. «Il y avait des gens de plusieurs ethnies sur les bateaux de Jacques Cartier, rappelle-t-il. J'ai même appris récemment qu'il y avait un Libanais! Je ne prétends pas être le descendant de ce Libanais, mais c'est quand même intéressant comme information.»

Après plusieurs années passées ici, Sami Aoun se sent aujourd'hui complètement québécois. Lorsqu'il rentre en avion à Montréal, il a l'impression qu'il arrive chez lui. «Est-ce qu'il faut nécessairement manger de la poutine pour appartenir au Québec? Il ne faut pas réduire la culture québécoise, non plus d'autres, à quelques us et coutumes, dit le professeur. C'est plus riche que ça. Cette culture me fascine par son ouverture incessante sur la modernité et par sa détermination de sauvegarder le fait français. En ce sens, je me sens québécois parce que je partage les valeurs fondamentales et fondatrices du Québec.»

L'enseignement d'abord!

Dès son arrivée au Québec, Sami Aoun a commencé à enseigner. Il n'a jamais arrêté depuis. Il rappelle d'ailleurs qu'il est toujours enseignant sans délaisser l'exigence de la recherche approfondie. «C'est, je crois, ma raison d'être, explique-t-il fièrement. Je garde toujours un lien privilégié avec l'enseignement.»

En plus de donner des cours au baccalauréat et de diriger des mémoires de maîtrise à l'École de politique appliquée, Sami Aoun est membre du groupe de recherche Société, droit et religions de l'UdeS et peut donc diriger des mémoires de maîtrise à la Faculté de droit et des thèses de doctorat à la Faculté de théologie, d'éthique et de philosophie. «Cela m'enchante beaucoup parce que je peux avoir des réflexions avancées sur des sujets pointus, affirme-t-il. Je crois que les étudiants sont reconnaissants du contact qu'ils ont avec moi et de mon honnêteté intellectuelle.»

Tant dans l'enseignement que la recherche, Sami Aoun concentre ses réflexions sur trois grands thèmes. D'abord, la géopolitique du Moyen-Orient, ensuite, l'analyse des discours idéologiques dans le monde islamique et, finalement, l'étude des communautés culturelles et leur intégration dans les foyers démocratiques au Québec et ailleurs. «Auparavant, on étudiait les cultures des nouveaux arrivants, arabes, musulmans et autres dans leurs berceaux, explique-t-il. On commence maintenant à les étudier ici chez nous. Après le 11 septembre, ce sujet devient très important.»

Sollicité de toutes parts

Sami Aoun est aujourd'hui reconnu comme l'un des plus grands analystes des questions du Moyen-Orient. Comment en est-il arrivé là? «Je suis arrivé au moment où il y a eu au Québec un mouvement d'ouverture, raconte-t-il. Le Québec a de plus en plus de communautés immigrantes et chaque communauté est sensible aux événements de son foyer d'origine. La question internationale est devenue un sujet de curiosité et de préoccupation. On pourrait dire qu'elle est devenue une question d'intérêt local.»

La vague d'intérêt pour les questions internationales a donc emporté Sami Aoun. Celui-ci reçoit de nombreuses demandes. «On me demande par exemple d'être consultant pour des investisseurs dans le Moyen-Orient ou de parler des accommodements raisonnables», explique-t-il.

Quand Sami Aoun est sollicité, il lui est très difficile de dire non. «Même si parfois je suis fatigué, je suis quand même enchanté des offres qu'on me fait, affirme-t-il. C'est difficile de rejeter une demande.» Le politologue croit qu'il est de son mandat d'accepter les nombreuses offres. «On n'a pas le luxe d'être dans des tours d'ivoire, dit-il. Les temps sont mouvementés; il faut toujours essayer d'être là.»

Analyser avec rigueur

Sami Aoun ne fait pas dans l'opinion et il se fait un devoir de toujours offrir une analyse rigoureuse des faits. «Mon approche se fonde sur le respect de la chose politique, affirme-t-il. La politique est un domaine qui est ouvert à tout le monde, mais il reste un champ d'expertise et de spécialisation. Tout citoyen a le droit de se prononcer sur la chose politique. Sauf que c'est le propre de l'expert de rendre cette chose politique traduisible dans des argumentaires cohérents et dans une terminologie rigoureuse, objective, scientifiquement mesurable.»

Par souci de rigueur, Sami Aoun refuse donc toujours de divulguer ses opinions politiques. «Il faut que l'étudiant ou le lecteur comprenne où s'arrête l'analyse et où commence l'opinion, dit-il. Sinon, le politologue devient activiste et ce n'est pas dans son mandat. Mes états d'âme ne sont pas nécessairement pertinents pour la compréhension! Il ne faut pas que je formule des jugements de valeur sur un phénomène comme la guerre, que ce soit pour ou contre. Je dois l'analyser simplement, même si je crois que la violence est une offense à l'humain.»

Dans ses analyses, Sami Aoun s'efforce donc de mettre en perspective tous les points de vue. «Par exemple, il n'est pas nécessaire d'être un sympathisant des talibans pour comprendre leur cause ou leur raison d'être», affirme-t-il.

Cette rigueur est d'ailleurs ce qui rend Sami Aoun très fier de son travail. «Plusieurs disent qu'ils apprécient mon honnêteté intellectuelle, la clarté de mes propos ainsi que la teneur rigoureuse et documentée de ce je dis, explique-t-il. Ça me flatte beaucoup. J'en suis reconnaissant et encouragé!»

Au fil des années, il y a eu plusieurs tentatives pour amener Sami Aoun dans l'arène politique. «C'est venu de la plupart des partis, déclare-t-il, le sourire en coin. Cependant, je crois qu'être politologue n'est pas une garantie en soi pour devenir un fin politicien.» Et sans faire le saut en politique, Sami Aoun fera-t-il dans l'opinion un jour? «Mon choix reste d'articuler une meilleure compréhension de la situation sur la scène internationale, ses facteurs déterminants et son évolution. À mon sens, c'est un engagement de taille!» conclut-il.